Comment les chercheurs conçoivent-ils un médicament anti-inflammatoire sans effet secondaire pour l'estomac ?

Il y a plus de 7’000 ans, des décoctions de feuilles de saule (Salix) étaient déjà utilisées pour soigner la fièvre et les douleurs.


source: Wikipedia.



La molécule naturelle active présente dans les feuilles de saule est l’acide salicylique. L’acide salicylique est très efficace lorsqu’il est appliqué directement sur la zone douloureuse (pommade, compresse, etc…), mais ne l’est guère lorsqu’il est avalé. En effet, il n’est que peu absorbé par la paroi gastrique et est rapidement éliminé. De plus, il est responsable de graves effets secondaires au niveau de l’estomac, principalement d’ulcères gastriques. Des années de recherche ont permis de savoir pourquoi.

L’acide salicylique bloque des protéines appelées cyclooxygénases (COX, synonyme: prostaglandin G/H synthases) et empêche ainsi la fabrication des prostaglandines. Les prostaglandines sont impliquées, entre autres, dans l’inflammation et l’amplification des signaux de la douleur. Il existe deux cyclooxygénases, nommées COX1 et COX2.

COX1 et COX2 se ressemblent beaucoup, mais elles ont des fonctions biologiques légèrement différentes. COX1 joue un rôle important dans la coagulation et la protection de la paroi de l’estomac. COX2 est produite localement en cas d’inflammation et est directement responsable de l’apparition de la douleur.

En bloquant conjointement COX1 et COX2, l’acide salicylique a certes les effets souhaités anti-douleur, anti-inflammatoire et anti-fièvre, mais il provoque des effets indésirables sur l’estomac et la coagulation.

Les plantes ont toujours été une excellente source d’inspiration pour la recherche pharmaceutique, mais les substances actives naturelles ne conviennent pas toujours parfaitement à l’usage thérapeutique désiré. C’est pourquoi elles sont souvent copiées et légèrement modifiées pour obtenir les médicaments les plus efficaces et les plus sûrs possibles.

C’est ce qui s’est passé pour l’acide salicylique. A la fin du 19ème siècle, des chercheurs l’ont modifié en y ajoutant un petit groupe chimique appelé acétyle. L’acide acétylsalicylique, ou aspirine, était né. L’acide acétylsalicylique est beaucoup mieux absorbé par le corps, il peut être pris par voie orale et est très efficace contre les douleurs, l’inflammation et la fièvre. Le succès a été énorme et l’aspirine est aujourd’hui le médicament le plus consommé au monde!


crédit: Adélie Garin.



Le problème est que l’aspirine a les mêmes effets indésirables sur le tractus digestif que sa molécule-mère, l’acide salicylique. De plus, elle interagit avec un grand nombre de protéines différentes.

Des années de recherche assidue ont permis d’aboutir à la découverte d’une autre classe de médicaments : les anti-inflammatoires non-stéroidiens (AINS). Les premières molécules AINS bloquaient à la fois COX1 et COX2, tout comme l’aspirine. C’est pourquoi elles sont appelées ‘inhibiteurs non-sélectifs’. Au début des années 2000, d’autres molécules bloquant spécifiquement COX2 ont été conçues: ces molécules appartiennent à la famille des coxibs (inhibiteurs sélectifs de COX-2) Ces molécules ont les effets anti-inflammatoires désirés, mais n'ont pas les effets secondaires sur le tractus digestif.





Cet atelier permet de découvrir comment la bioinformatique:

  • aide à concevoir une molécule qui cible spécifiquement COX2, en utilisant la technique du molecular docking. Cette technique permet de prédire comment la molécule médicament se lie à une protéine (structure 3D) ainsi que la force de cette liaison (calcul d’un score),
  • permet de prédire la ou les protéines cible(s) du médicament (SwissTargetPrediciton),
  • permet de prédire le devenir d’une petite molécule dans le corps humain (SwissADME: Absorption, Distribution, Métabolisme et Excrétion).

  • Lien vers l'atelier

    Vous pourrez comparer les prédictions d’efficacité, de sécurité et de spécificité de la molécule que vous avez dessinée avec les médicaments suivants:

    L’ibuprofène (Brufen®, Algifor®, Dolocyl®, …) inhibe COX1 et COX2. L’ibuprofène est un AINS fréquemment prescrit pour les traitements de courte durée de la fièvre ou de douleurs, telles que maux de tête, états grippaux, douleurs dentaires, courbatures et règles douloureuses. Il a été découvert dans les années 70: son brevet est tombé et la molécule est maintenant dans le domaine publique.


    Modèle 3D informatique de la liaison de l'ibuprofène (en rouge) dans COX1 (coupe, en beige) (PDB 1EQG).



    Le flurbiprofène inhibe COX1 et COX2. Molécule proche de l’ibuprofène, elle est peu utilisée dans le traitement de l’arthrite, mais efficace en cas de maux de gorge.

    Le diclofénac (Voltarene®, Flector®, …) cible COX1 et COX2. Il est prescrit pour le traitement de plusieurs types de douleurs inflammatoires, notamment articulaires, comme l'arthrose ou la sciatique. Il entre dans la composition de pommades et d’emplâtres utilisés en cas de contusion. Le diclofénac est également prescrit en pédiatrie, car il est très efficace contre les otites chez les petits enfants, par exemple. Il a été découvert dans les années 70: le brevet est tombé et la molécule est maintenant dans le domaine publique.

    Le nimésulide (Aulin®, Nisulide®) a été synthétisé dans les années 80. Cette molécule inhibe beaucoup plus COX2 que COX1 et n’a donc que peu d’effets indésirables pour l’estomac. Néanmoins, le nimésulide peut être toxique pour le foie. C’est pourquoi, bien que très efficace, ce médicament n’est utilisé que dans des cas graves de polyarthrite, sous contrôle médical strict.

    L’acide salicylique (salicylic acid) est la molécule naturelle inhibant COX1 et COX2 que nous avons décrite plus haut.

    Le célécoxib est un inhibiteur sélectif de COX2 de la famille des « coxibs » (voir plus haut) mis sur le marché en 2000. Il est utilisé dans le traitement des affections rhumatismales (arthrose et polyarthrite rhumatoïde). Il n’inhibe pas COX1 et n’a pas d’effet secondaire sur l’estomac. Par précaution, il n’est pas considéré comme un traitement de premier choix, car d’autres molécules de la famille des coxibs ont montré une certaine toxicité pour le cœur.